La Cité de la nuit

par benraconte

TEXTE INTÉGRAL

Simon marchait d’un pas rapide dans la rue mal éclairée. En ce début de soirée, la ville était particulièrement sombre. À peine sorti de chez lui, il s’était retrouvé plongé dans le noir. Pas même la lune ne daignait se montrer pour lui procurer un peu de lumière. Seuls les lampadaires semblaient vouloir lutter contre les ténèbres. Il les suivait comme un fil d’Ariane. Ses pas résonnaient sur le bitume encore détrempé de la veille. Simon se dépêchait. C’était sa première nuit de travail et il ne voulait pas être en retard.

La rue bifurqua et le bitume laissa peu à peu place aux pavés. Là, au fond de la ruelle, un imposant bâtiment de pierre se dressait devant lui. Simon lui aurait donné au moins mille ans. Il avait toutes les caractéristiques d’une bâtisse du temps des chevaliers. Au-dessus de son immense porte en bois massif s’élevaient deux tourelles dont les toits semblaient vouloir s’élancer vers le ciel. La plupart des étroites fenêtres rectangulaires, réparties sur deux étages, étaient allumées.

Simon était enfin arrivé devant l’Hôtel de la Cité. Sans plus attendre, il réajusta ses habits sous son manteau et entra. Le directeur, en smoking noir un peu démodé, se trouvait derrière le bureau d’accueil, en pleine lecture d’un journal froissé. Il avait déjà rencontré l’homme de petite taille le jour de son entretien d’embauche. Son air sévère et peu loquace était accentué par des petites lunettes rondes posées sur le bout de son nez. Une fine moustache et des cheveux plaqués en arrière complétaient le personnage. Derrière lui, sur un grand tableau métallique accroché au mur, étaient suspendues de nombreuses clés étiquetées parfaitement alignées.

Simon s’avança. Il fit semblant de tousser puis déclara :

— Bonjour, Monsieur Delasoie.

L’homme leva les yeux.

— Ah, Monsieur Pralien ! Prêt pour votre première nuit de travail ?

Le jeune homme acquiesça.

— Bien. Avant de commencer, nous allons faire le tour du propriétaire. Suivez-moi.

Les deux hommes empruntèrent un long couloir mal éclairé à droite de l’accueil. Les murs étaient couverts d’une tapisserie démodée, d’un rose pâle un peu douteux. Des lustres électriques étaient suspendus au plafond, mais la plupart ne fonctionnaient plus.

Sur le chemin, ils croisèrent un homme tout de noir vêtu, un chapeau melon vissé sur sa tête. Il n’adressa pas un regard à Simon et s’éloigna rapidement vers la sortie. Monsieur Delasoie s’arrêta bientôt.

— Voici la porte des escaliers pour accéder au premier et au deuxième étage. C’est là que se trouvent toutes nos chambres. Nous irons tout à l’heure.

Le directeur reprit la visite, mais il s’arrêta de nouveau après quelques pas. L’homme se tenait devant une grille en fer forgé. En plissant les yeux, Simon distingua ce qui semblait être un escalier en pierre à travers les barreaux.

— Ici, c’est la cave. L’accès est exclusivement réservé au sommelier, à la gouvernante et à moi-même. Défense d’y aller sans ma permission.

Sans tarder, il se remit en marche et ouvrit la porte au fond du couloir. Simon déboucha sur une vaste salle. C’était le restaurant de l’hôtel. La pièce était éclairée par un immense lustre en cristal suspendu au plafond. Sur chacun des murs s’accumulait une quantité incroyable de tableaux hétéroclites. Certains représentaient des portraits d’hommes et de femmes inconnus certainement morts depuis bien longtemps, d’autres des paysages de forêts sombres et inquiétants.

En cette heure tardive, il n’y avait pas un chat. Toutes les tables étaient vides. Simon nota cependant la présence de deux femmes assises sur un canapé, dans un coin de la pièce en train de discuter. Leurs robes étaient à l’image des habits du directeur, toutes droites sorties d’un autre temps. Monsieur Delasoie s’avança vers elles.

— Je vous présente Simon, le nouveau réceptionniste de nuit. Il commence dès ce soir.

— Enchantées, répondirent-elles en cœur.

— Simon, voici Sandra, ma femme et également la gouvernante de l’Hôtel de la Cité. C’est elle qui est chargée de l’entretien des lieux.

Sandra avait les cheveux grisonnants, elle approchait sans doute la soixantaine. Son regard perçant était accentué par ses yeux clairs. Elle adressa à Simon un large sourire.

— Et voici Liliane, son assistante.

À l’inverse de sa collègue, Liliane était particulièrement jeune. Elle ne semblait pas dépasser les vingt-cinq ans. Ses cheveux étaient pourtant blancs comme la neige. Après un bref coup d’œil en direction de Simon, elle baissa aussitôt les yeux et rougit.

— Bon, maintenant allons rapidement voir les chambres, continua le directeur.

Ils retournèrent sur leurs pas et empruntèrent un large escalier en bois pour accéder aux étages. Les premier et deuxième niveaux étaient identiques. Un hall circulaire permettait d’accéder à toutes les chambres, qui avaient chacune leur fenêtre avec vue sur l’extérieur. Le troisième et dernier étage était composé d’un bureau pour le directeur et d’une salle de repos pour les employés. Les deux hommes redescendirent et retournèrent à l’accueil.

— Voilà pour ce qui est de la visite. Je crois que nous avons fait le tour de tout ce que vous deviez voir avant de commencer. Tout est clair ?

Simon hocha la tête.

— Bien, répondit le directeur d’un air satisfait. Ah oui au fait, je risque de m’absenter dans la nuit donc si je ne suis pas dans mon bureau, vous pourrez me joindre à ce numéro, ajouta-t-il en déposant un bout de papier sur le comptoir. Je viendrai alors immédiatement. Sur ce, je vais vous laisser. Bonne nuit et bon courage.

Le directeur prit congé. Un crissement métallique résonna quelques instants. Monsieur Delasoie faisait, semble-t-il, un tour à la cave avant de monter dans son bureau. Simon s’installa à son poste. Tout au long de la nuit, il alterna entre des phases de ronde et des permanences au comptoir. Il prenait de temps en temps des pauses dans la cuisine du restaurant pour se revigorer. Pas un client ne daigna se présenter à l’accueil et pas un bruit ne se fit entendre dans l’hôtel.

Au petit matin, Simon leva les yeux sur l’horloge murale au-dessus de l’entrée. Le soleil n’allait pas tarder à se lever et son service prendrait fin. Soudain, un homme poussa la porte et entra. Il salua rapidement le réceptionniste d’un signe de la tête et s’engagea dans le couloir. Simon reconnut immédiatement l’homme en noir et son chapeau melon, mais au contraire de leur première rencontre, il portait un gros sac à chaque bras. Le réceptionniste se dit qu’il avait sûrement oublié quelques affaires lors de son arrivée à l’hôtel.

Simon s’engagea à son tour dans le couloir pour aller prendre un dernier café. L’homme s’était assis sur une chaise, ses sacs à côté de lui, semble-t-il pour faire une pause. Simon le contourna et ouvrit la porte du restaurant.

La lumière du soleil levant commençait peu à peu à se diffuser dans la grande salle de réception. Les peintures sur les murs se gorgeaient de couleurs vives et la pièce semblait renaître à mesure que les ténèbres s’éloignaient. Il se servit une tasse de café à la cuisine avant de repartir. L’homme au chapeau n’était plus là, mais alors qu’il retournait au comptoir, il remarqua que le directeur l’attendait.

— Alors Monsieur Pralien ? Cette première nuit ? Pas trop fatigué ? demanda-t-il en jetant un coup d’œil à la tasse que tenait Simon.

— Elle s’est bien passée, Monsieur. Rien à signaler. Aucun nouveau client ne s’est enregistré à l’hôtel, répondit le réceptionniste un peu gêné.

— Bien, bien, s’exclama le directeur en souriant. Vous pouvez prendre congé. Je vous dis à demain soir, alors.

— Entendu. À demain, Monsieur Delasoie.

Simon finit rapidement son café et quitta l’établissement en saluant une dernière fois son responsable. Dehors, le jour s’était complètement levé. Des gens sortaient de leurs maisons et des voitures circulaient déjà dans les rues. La ville s’était réveillée.

 

Le soir suivant, Simon était parti de chez lui un peu plus tôt. La nuit était aussi noire que la veille. De gros nuages sombres s’étendaient dans le ciel et semblaient vouloir recouvrir la ville de leurs bras. Simon croisait de temps à autre des passants, qui filaient comme des ombres vers des destinations inconnues. Il n’osait pas leur dire bonsoir, au risque d’attirer l’attention d’une personne peu fréquentable. Il se contentait de baisser le regard et d’accélérer le pas. Le quartier n’était pas particulièrement fréquentable et regorgeait de bars et de bordels miteux.

De l’autre côté de la rue, une prostituée faisait le tapin. S’éloignant d’un client, une liasse de billets à la main, elle aperçut Simon et le héla :

— Salut mon mignon ! Ça t’intéresse ? l’aguicha-t-elle en ouvrant son grand manteau, dévoilant sa lingerie en dentelle noire.

Simon l’ignora et pressa le pas. Au détour d’une ruelle, il remarqua qu’elle ne le suivait plus. Il soupira. Quelques instants plus tard, il aperçut enfin l’hôtel.

Comme la veille, le directeur l’attendait au comptoir. Après un bref échange sur les consignes du soir, ce dernier s’en alla et un crissement métallique retentit à nouveau.

À peine Simon s’était-il installé à son poste qu’il vit l’homme au chapon melon sortir du couloir et se diriger vers la sortie. Il semblait pressé. Simon remarqua qu’il ne portait pas de sac.

— Bonne soirée Monsieur, déclara le réceptionniste.

L’homme ne daigna pas ralentir son allure ni même tourner la tête. Simon dut se contenter d’un grognement comme réponse.

Au milieu de la nuit, Sandra et Liliane se présentèrent à l’accueil. Sandra prit aussitôt la parole.

— Bonsoir Simon, peux-tu me donner la clé de la chambre 24, s’il te plait ?

Sans même poser de question, Simon s’exécuta.

— Oui, bien sûr, répondit le réceptionniste en s’emparant de la clé. Il la tendit à la gouvernante qui se tourna vers son assistante.

— Je vais préparer la chambre pour ton examen. Allez, courage ! C’est la dernière épreuve. Je t’appelai dès que j’aurai terminé, ajouta-t-elle en désignant du doigt le téléphone sous le tableau des clés.

Liliane acquiesça de la tête. Sandra tourna les talons et s’éloigna vers le couloir. Quelques minutes passèrent dans le silence le plus total. Seul résonnait le tic-tac de l’horloge de la porte d’entrée. Liliane restait immobile, le regard vers le sol. Simon finit par se décider à rompre le silence.

— Alors comme ça tu passes un examen ? Comment ça se fait ?

L’assistante leva la tête. Ses yeux couleur émeraude fixèrent Simon. Elle était craintive. Simon lui sourit, ce qui parut la détendre un peu. Elle lui sourit en retour.

— Ce soir, c’est ma dernière épreuve pour être officiellement gouvernante. Sandra prend sa retraite et si je réussis, je prendrai sa place dès demain.

— Je te souhaite bonne chance alors ! Et je te dis à demain en tant que gouvernante ! plaisanta Simon en faisant un clin d’œil.

— Merci, c’est gentil répondit-elle. Je l’espère !

Son regard était pétillant et plein de vie. Soudain, le téléphone sonna. Simon décrocha et passa le combiné à Liliane.

— Très bien, j’arrive.

Elle raccrocha et s’éloigna vers le couloir. Au dernier moment, elle se retourna.

— La gouvernante te dit à tout à l’heure, Simon ! s’écria-t-elle avant de lui faire un clin d’œil.

Le réceptionniste ria.

 

À l’instar de la veille, il passa de longues heures derrière le comptoir, ponctuées de pauses à la cuisine. Au retour de l’une d’elles, il remarqua que la clé empruntée par la gouvernante était posée sur le comptoir. Il se maudit intérieurement de ne pas avoir été là pour voir Liliane et lui demander comment l’épreuve s’était passée. Puis vint l’heure de faire son tour de garde. Simon se dit qu’il en profiterait pour la croiser dans les étages.

Il escalada quatre à quatre les marches de l’escalier. Après quelques rondes au premier et au deuxième étage, il se dirigea vers la salle de repos et remarqua que le directeur n’était pas dans son bureau. Il ne trouva pas non plus la gouvernante ni son assistante. Simon en déduit qu’ils avaient dû tous prendre congé pour la nuit. Un sentiment de solitude s’empara de lui alors qu’il redescendait les escaliers. C’était la première fois qu’il se sentait aussi seul et malgré la présence de quelques clients endormis, l’hôtel lui paraissait maintenant bien plus oppressant. D’ailleurs, en y repensant, Simon se dit qu’à part l’inquiétant homme en noir, il n’avait jamais croisé personne.

Alors qu’il retournait à l’accueil en pleine réflexion, la porte de la cave s’ouvrit. Il vit Liliane en sortir. Simon eut du mal à dissimuler sa joie.

— Salut Liliane ! Je t’ai cherch… Je me demandais où tu étais passée ! Alors cet examen ?

D’abord surprise, elle sembla rapidement se ressaisir.

— Ah, Simon, c’est toi !

Quelques secondes s’écoulèrent.

— Je… J’étais dans la cave avec Sandra, elle me montrait l’organisation mise en place par le directeur pour l’entretien des bouteilles de vin. C’est l’une des tâches qui m’incombent maintenant en tant que nouvelle gouvernante, dit-elle d’un air faussement sérieux, le sourire jusqu’aux oreilles.

— Oh ! Félicitations ! Je suis très content pour toi ! s’écria-t-il l’air enjoué. On peut se faire la bise ?

Liliane accepta et Simon s’exécuta. En se détachant d’elle, il remarqua qu’elle rougissait.

— Bon, il faut que je te laisse. J’ai encore des choses à préparer avant ma journée de demain. À demain soir ! conclut-elle d’un signe de la main avant d’ouvrir la porte des escaliers et de disparaître.

Simon s’installa à son bureau, la tête un peu dans les nuages quand soudain la porte d’entrée s’ouvrit. C’était à nouveau l’homme au chapeau melon, les bras encore bien chargés. Il salua le réceptionniste d’un hochement de la tête et s’engouffra dans le couloir. Simon trouvait ce personnage de plus en plus étrange. Machinalement, il jeta à un coup d’œil à l’horloge. Le jour allait bientôt se lever. La recherche de Liliane dans tout l’hôtel l’avait tellement obnubilé qu’il n’avait pas vu le temps passer. Après toutes ces heures à déambuler dans les étages, Simon avait la gorge sèche.

Il se dirigea vers la cuisine et remarqua que l’homme en noir était encore assis sur sa chaise, l’air absent. Simon l’ignora et partit se désaltérer. À son retour, la scène était identique à la veille. L’homme en noir était reparti dans sa chambre et le directeur l’attendait dans l’entrée. Après un bref échange, les deux hommes se dirent au revoir et Simon s’empressa de rentrer chez lui. Il était épuisé.

 

Les soirs suivants se ressemblèrent. Simon passait régulièrement du temps avec Liliane pendant ses pauses et les deux jeunes gens s’entendaient particulièrement bien. Simon ne rencontra pas d’autres clients que l’homme en noir, mais la valse des clés prouvait le va-et-vient quotidien de la clientèle. Il porta particulièrement son attention sur cet homme au chapeau et ses mystérieux va-et-vient qui continuaient. Chaque fois, il partait en début de soirée et revenait chargé de ses sacs peu avant le lever du jour. Simon se demandait s’il les entassait dans sa chambre ou s’il les débarrassait pendant la journée.

 

Un soir comme les autres, alors qu’il se trouvait derrière le comptoir, Simon vit Liliane sortir du couloir et se présenter devant lui.

— Salut Simon ! Je te dérange ?

La gouvernante avait l’air particulièrement de bonne humeur en ce début de soirée. Elle arborait un grand sourire qui remontait jusqu’aux oreilles.

— Ah, salut Liliane ! Non pas du tout, comme tu peux le voir, il n’y a pas foule ! répondit le réceptionniste en désignant la pièce vide autour de lui. Pourquoi ?

— Non, pour rien. Moi aussi je n’ai pas grand-chose à faire et je me suis dit qu’on pourrait discuter.

Elle mit ses coudes sur le bureau.

— Bah écoute, oui pourquoi pas ! Justement, j’avais une question à te poser.

— Oui ? répondit Liliane en fronçant les sourcils.

— C’est à propos d’un client. C’est un homme habillé en noir qui porte un chapeau melon. Je n’ai pas réussi à trouver son nom dans les registres ni la chambre dans laquelle il se trouve. Tu l’as déjà vu ?

Liliane sembla se raidir.

— Pourquoi ? En quoi il t’intéresse ?

— Je ne sais pas, je trouve juste bizarre le fait qu’il fasse tout le temps des allers-retours avec des sacs. Je me demande bien ce qu’il trafique. Tu le connais ?

— Oui, je vois de qui tu veux parler, répondit-elle l’air soudain distant. C’est Monsieur Perlois, un habitué de la maison. Lui et Monsieur Delasoie se connaissent depuis bien longtemps. Il a notre plus belle chambre, la n°22. Pour ses sacs, je ne sais pas. Après si tu veux mon avis, je n’embêterais pas Monsieur Delasoie avec ça.
Elle s’écarta du comptoir. Simon sentit dans sa voix qu’elle était sur la défensive et ne voulait pas en dire plus. Il préféra ne pas insister et changea de sujet.

— D’accord, merci. Sinon, alors, comment se passent tes journées depuis ta nouvelle fonction ? Ça te plaît ? demanda-t-il en faisant un sourire exagéré pour tenter de détendre l’atmosphère.

— Oui, ça me plaît. Après j’ai toujours été dans l’hôtel donc je le connais bien.

Liliane sembla se décontracter quelque peu.

— Ah bon ? Tu es ici depuis combien de temps ?
— Oh ! Je ne sais plus. Depuis toute petite. Mes parents sont morts ici. C’est Monsieur Delasoie et Sandra qui m’ont recueilli et élevé.

— Oh, je suis désolé… s’excusa Simon.

Gêné, il baissa les yeux.

— Ne t’inquiète pas, tu ne pouvais pas savoir et puis ma place est ici. Je ne me vois vivre nulle part ailleurs. Ici, je me sens bien. Et utile.

En relevant la tête, Simon s’aperçut que Liliane s’était rapprochée.

— Oui, je comprends. Et Sandra, comment va-t-elle depuis son départ à la retraite ? Je ne l’ai plus vue depuis ta promotion.

— Sandra ? Elle va bien. Elle a pris quelques semaines de vacances à la campagne pour se ressourcer. Et toi, le travail te plaît ? Tu ne t’ennuies pas trop ?

— Non, tu rigoles ! Tu sais, j’ai toujours été du genre casanier à observer le monde s’agiter devant moi. Je préfère le calme de la nuit au brouhaha de la journée. Et ici, c’est exactement ce que j’ai. Après je t’avouerai que je le trouve un peu flippant cet hôtel, mais bon…

Une grimace se dessina sur le visage du réceptionniste. Liliane éclata de rire.

— Ah, ça ! Je veux bien te croire. Quand j’étais petite, moi aussi l’endroit me faisait très peur. Mais après être sortie dehors pour la première fois, j’ai trouvé que cet hôtel était bien plus rassurant. Au moins ici, je ne crains rien.

— Oui, c’est vrai…

Des images du quartier et de la prostituée lui revinrent en tête. Simon vit Liliane porter son regard vers l’horloge.

— Bon il faut que j’y aille, Simon. À plus tard.

Elle s’approcha rapidement de lui et l’embrassa furtivement sur la joue avant de partir en courant. Simon l’entendit glousser en partant. D’abord surpris par l’action, il ne put s’empêcher de sourire bêtement.

Au même moment, l’homme au chapeau fit irruption dans l’hôtel, ce qui illumina la pièce des rayons naissants du soleil. Il se dirigea d’un pas pressé vers la porte des escaliers. Il avait toujours dans chaque main ses maudits sacs. Simon entendit la grille de la cave grincer et reconnut la voix rauque de Monsieur Delasoie qui salua le client avant d’apparaître au détour du couloir.

Simon pensa un instant lui parler de l’homme, mais il abandonna finalement l’idée. Il avait un autre plan en tête.

Après son rapport de la nuit, il salua le directeur et prit congé.

Avant de s’endormir ce matin, il prit la résolution d’enquêter sur ce mystérieux Monsieur Perlois.

 

La nuit était tombée sur la ville lorsque Simon pénétra dans l’Hôtel de la Cité. Comme à son habitude, il s’assit derrière le comptoir après un bref entretien avec son responsable et commença le travail. Pourtant, contrairement aux autres soirs, il n’avait qu’une idée en tête. Pénétrer dans la fameuse chambre n°22 et découvrir ce que manigançait Monsieur Perlois.

Le bonhomme ne tarda pas à se montrer, réglé comme une horloge. Il quitta le bâtiment, toujours aussi pressé. Simon attendit quelques minutes pour s’assurer que le bougre ne revienne pas et s’empressa de gagner les escaliers. La chambre n°22 était la seule suite de l’hôtel. Située au deuxième étage, Simon n’y était jamais entré, mais Monsieur Delasoie n’avait pas arrêté de vanter sa vue imprenable sur le quartier.

Arrivé devant, le réceptionniste se figea et tendit l’oreille pour s’assurer que ni Liliane ni le directeur ne traînait dans le coin. Pas un bruit ne résonnait dans le hall. Le silence de la salle accentuait l’ambiance oppressante des lieux, mais après quelques nuits seul dans les entrailles de l’hôtel, Simon commençait à s’habituer à cette atmosphère si particulière. Il était d’ailleurs plutôt content qu’il n’y ait personne dans le coin. Il allait pouvoir fouiller l’endroit sans risquer de se faire surprendre.

Il s’approcha de la porte et appuya sur la poignée. La porte était fermée à clé. Simon jura et s’éloigna rapidement. Il devait trouver une autre solution. En retournant à l’accueil, il tomba nez à nez avec Liliane qui se dirigeait vers le restaurant. Bousculée, la gouvernante laissa échapper ses clés qui tombèrent au sol.

— Oh, pardon Liliane ! Je ne t’avais pas vu, s’excusa Simon en ramassant le trousseau.

— Ce n’est pas grave, tu ne m’as pas fait mal. Plus de peur que de mal comme on dit ! plaisanta-t-elle.

Au moment de lui rendre ses clés, Simon pensa au passe-partout qui permettait d’accéder à toutes les pièces de l’hôtel. Liliane en possédait justement un en sa qualité de gouvernante.

— Au fait, Liliane, tu as besoin de ton passe-partout dans l’immédiat ?

— Euh non, pas tout de suite, pourquoi ?

— Parce que j’ai perdu ma clé de la salle de repos. Je peux te l’emprunter ?

Liliane hésita quelques secondes avant de déclarer :

— D’accord. Tu me le rendras avant de partir, dit-elle pendant qu’elle détachait la clé de son trousseau.

— Compte sur moi ! répondit Simon en s’éloignant.

Il remonta les escaliers et retourna devant la chambre n°22. Après s’être assuré que personne ne se trouvait dans les parages, il sortit la clé de sa poche et l’inséra dans la serrure. Le loquet pivota et la porte s’ouvrit.

La pièce était plongée dans le noir. En allumant, Simon découvrit une grande pièce richement décorée. Les tapisseries murales colorées semblaient dater de plusieurs siècles et montaient jusqu’au plafond. Le mobilier était digne d’un château de la Renaissance. Un imposant lit en baldaquin trônait au milieu de la chambre. Il était paré de grands rideaux de couleur rouge. Dans un coin se trouvait un magnifique bureau en bois massif. Sa couleur sombre contrastait avec la clarté des lieux. De l’autre côté, une baignoire en fonte avait été installée. Ses pieds, en forme de tête d’aigle renversée, étaient ornés de dorures.

Simon fit le tour de la pièce, mais malgré ses recherches, il n’y avait aucune trace des sacs que portait l’homme au chapeau, ni même d’autres affaires ayant pu appartenir au client. Il tâtonna un peu partout au hasard en quête de cachettes secrètes, mais en vain. Il constata seulement qu’une épaisse couche de poussière s’était déposée sur tous les meubles, signe que personne n’avait mis les pieds ici depuis longtemps. Il jeta un rapide coup d’œil à la fenêtre.

Le directeur n’avait pas menti. La vue était splendide. Au loin, les nombreuses lumières de la ville scintillaient telles des milliers de lucioles de toutes les couleurs en vol stationnaire. En contrebas, le contraste avec la noirceur du quartier malfamé était flagrant. Le réceptionniste eut un sentiment de dégoût en repensant au trajet quotidien qu’il faisait pour se rendre à l’hôtel.

Détournant la tête, il quitta rapidement les lieux. Il ne voulait pas s’attarder davantage, car il craignait qu’une personne arrive à tout moment.

Simon regagna le rez-de-chaussée et remarqua que Monsieur Perlois était assis sur sa chaise, dans le couloir, avec ses deux gros sacs.

Il n’avait pas vu le temps passé pendant ses recherches à l’étage. Après un moment de panique en repensant à la fouille de la 22 alors que l’homme en noir n’était pas loin, Simon finit de plus en plus par se demander si le client séjournait vraiment dans cette chambre.

Il salua le bonhomme et se dirigea l’air de rien vers le restaurant. Avant d’y pénétrer, il tourna la tête en direction de la réception. Le directeur ne semblait pas être encore arrivé. En ouvrant la porte, Simon remarqua que la salle était déserte. Liliane avait dû s’en aller.

Il s’apprêtait à retourner à son poste quand il entendit le crissement métallique de la porte de la cave. Se précipitant vers la porte du restaurant, il s’arrêta net et l’entrouvrit sans un bruit. Il jeta un coup d’œil dans l’entrebâillement et fut interloqué quand il vit Monsieur Perlois s’engouffrer dans la cave avec ses affaires. Il attendit quelques instants et après mûre réflexion, se décida à le suivre. Il voulait à tout prix savoir ce que l’homme manigançait.

En s’approchant, il tendit l’oreille et entendit des bruits de pas s’éloigner peu à peu. Il ouvrit le plus doucement possible la grille et descendit les escaliers. À mi-chemin, un grincement résonna à deux reprises puis plus rien. Après quelques minutes en pleine hésitation, il se décida enfin à continuer la descente.

Simon découvrit une pièce faiblement éclairée par une lampe suspendue. Au premier abord, c’était une cave tout ce qu’il y avait de plus normal, de taille relativement moyenne. Sa superficie lui rappelait son studio. De chaque côté de la pièce, des bouteilles étaient rangées dans des casiers à vin qui s’étendaient sur toute la surface des murs jusqu’au plafond. Enfin, au fond, se trouvait une armoire en bois grande comme deux hommes. Il n’y avait aucune trace de l’homme au chapeau. Il semblait s’être volatilisé. S’était-il caché dans le meuble ? se demanda le réceptionniste. Cette idée lui paraissait complètement saugrenue. Il devait y avoir une autre explication.

Sans réfléchir, Simon s’approcha de l’armoire et ouvrit l’une de ses portes. Il fut stupéfait de voir que non seulement elle était vide, mais qu’en plus elle n’avait pas de fond. À la place s’étendait un long couloir creusé dans la pierre. Le réceptionniste aperçut au loin une faible lumière. Les évènements prenaient une tournure de plus en plus inquiétante. Qui était vraiment ce Monsieur Perlois ? Monsieur Delasoie était-il au courant de ce passage secret ?

Simon se rappela alors les paroles du directeur et son interdiction de se rendre au sous-sol. L’hypothèse d’un réseau mafieux devenait de plus en plus plausible. Le quartier en était tout à fait propice. D’abord tétanisé par sa prise de conscience, il reprit peu à peu ses esprits. Il devait prendre une décision.

La curiosité l’emporta finalement sur la prudence et Simon s’engouffra dans le passage. Tous ses sens étaient en alerte. Il avait décidé qu’il fuirait aussitôt qu’il entendrait le moindre bruit suspect.

La lumière se fit de plus en plus vive et il finit par se retrouver devant un vieil ascenseur rouillé. Il appuya sur un interrupteur et entendit l’appareil se mettre en marche. Quelques instants plus tard, la cage de fer était là. Il repoussa la grille de sécurité et entra. À l’intérieur, il n’y avait que deux boutons. L’un indiquait « Haut » et l’autre « Bas ». Instinctivement, Simon appuya sur « Haut ». Le bouton clignota un bref instant puis plus rien. Il appuya donc sur « Bas ». L’ascenseur se mit aussitôt en route et s’enfonça dans les entrailles de la Terre.

La descente parut interminable. Simon avait dans un premier temps essayé d’estimer la profondeur à laquelle il se trouvait, mais avait fini par abandonner le comptage. Bien plus tard, l’ascenseur s’arrêta enfin. Simon sentit le stress monter en lui.

Il ouvrit la grille et sortit. Devant ses yeux, il découvrit une immense caverne de plusieurs centaines de mètres de haut, formant un dôme de pierre. Au plafond, un trou dans la roche laissait passer un large faisceau de lumière qui plongeait vers le sol. C’est là qu’au loin, en contrebas, inondé de la lumière du jour naissant, Simon découvrit ce qui ressemblait à une immense ville souterraine. Son architecture était unique, car complètement hétéroclite. Des bâtiments semblaient dater de l’époque antique, avec leurs colonnes dignes de temples grecs, d’autres étaient en pierre à l’image de l’hôtel à la surface. D’autres encore étaient plus récents, d’époque contemporaine, de la fumée s’échappant des grandes cheminées. La cité était habitée. Simon eut une illumination. Il comprit pourquoi l’hôtel avait pris le nom d’Hôtel de la Cité.

Au pied de la ville, un grand lac s’étendait jusqu’au plus profond de la caverne. Le réceptionniste aperçut des oiseaux en plein vol au-dessus de l’étendue d’eau plonger vers le lac. Quelques instants plus tard, les volatiles ressortaient de l’eau, une proie dans le bec. Simon resta figé quelques instants devant la beauté des lieux. Il n’avait jamais vu un endroit si paisible et harmonieux.

Délaissant le spectacle, il s’avança vers un sinueux sentier de pierre qui rejoignait la cité et culminait à plusieurs centaines de mètres au-dessus du vide. À mi-chemin, il rejoignit un promontoire offrant une vue sur le premier quartier de la ville. Il porta son regard sur une grande place pavée, entourée de bâtiments dont l’architecture rappelait l’âge industriel. Au centre, un attroupement de gens en habits d’un autre temps s’était formé autour d’une estrade.

En y regardant de plus près, Simon fut stupéfait. Il reconnut Monsieur Delasoie et sa femme Sandra en train de s’adresser à l’assemblée. À côté d’eux se trouvait Monsieur Perlois, distribuant ce qui semblait être des vivres, ses sacs grands ouverts. D’ici, le réceptionniste ne pouvait pas entendre le discours, seuls les applaudissements répétés de la foule lui parvenaient aux oreilles.

Simon ne savait vraiment pas quoi penser de tout ce qu’il venait de découvrir. Qui était donc ces gens et depuis quand vivaient-ils ici sous terre, isolés du reste du monde ?

Le discours prit fin et les gens commencèrent à se disperser. Les Delasoie descendirent de l’estrade. Le réceptionniste trouva le moment opportun pour partir. Il avait peur que le directeur ne décide de remonter à la surface. L’heure de la fin de son service était certainement proche.

Sans tarder, il rebroussa chemin et retourna vers l’ascenseur. Il jeta un dernier coup d’œil derrière lui et appuya sur l’interrupteur. L’élévateur arriva quelques instants plus tard. Il repoussa aussitôt la grille et s’apprêta à entrer lorsqu’il vit avec effroi que l’ascenseur n’était pas vide. Face à lui, éclairé par une faible lumière, il reconnut le visage de Liliane. Elle avait l’air abasourdie.

— Si… Simon ? Mais… Qu’est-ce que…bafouilla-t-elle. Tu es fou ! Qu’est-ce que tu fais ici ! Tu ne devrais pas être là !

Elle commençait à paniquer. Tous les muscles de son corps se raidissaient nerveusement.

— Liliane ! C’est quoi cet endroit ?! En suivant Monsieur Perlois, je pensais trouver n’importe quoi d’autre, mais pas ça ! s’emporta Simon. Qui sont tous ces gens ? Une secte ? Tu fais partie d’une secte ? Ou d’une mafia ?

Liliane restait impassible. Elle avait repris son calme et fixait le sol, immobile tel un automate qui aurait épuisé ses batteries. Mille pensées traversèrent l’esprit du réceptionniste.

— Maintenant que je vous ai découvert, tu vas en parler au directeur ? Vous allez me tuer ?
Liliane ne répondit pas. À mesure que les secondes passaient, le silence devenait de plus en plus oppressant.

— Ne t’inquiète pas, fais-moi confiance, répondit-elle finalement d’une voix douce. Viens, suis-moi ! ajoute-t-elle en le prenant par la main.

Surpris par la sérénité de Liliane, il se laissa mener par la gouvernante. Elle l’emmena vers un chemin dérobé, derrière l’ascenseur, qu’il n’avait pas remarqué auparavant. L’étroit sentier longeait la falaise sur plusieurs dizaines de mètres. Deux hommes côte à côte n’auraient pas pu s’y tenir sans risquer de tomber dans le vide. Simon ne voulut pas se risquer à regarder en contrebas. Abasourdi par les évènements, il avait l’impression de flotter, d’être ailleurs, comme dans un rêve. Il se laissait guider par Liliane et sentait la douceur de sa main dans la sienne. Elle était agréablement chaude.

Ils arrivèrent devant l’entrée d’un tunnel creusé dans la roche. Sans s’arrêter, Liliane l’entraîna à l’intérieur. Simon déboucha dans une grande pièce éclairée par des torches à la flamme bleutée. Tout autour, contre les murs, se tenaient des statues à taille humaine de mystérieux personnages. Certains tenaient des épées, d’autres des fusils, d’autres encore brandissaient des sceptres ou des bâtons. Au centre, une fontaine en pierre brute distribuait de l’eau en continu. Enfin, à droite, le mur avait été sculpté en forme d’arche et permettait d’accéder à un petit promontoire qui donnait sur l’extérieur.

Liliane prit la parole.

— Si je t’ai fait venir ici, Simon, c’est que je veux que tu comprennes qui nous sommes et ce que cet endroit représente pour nous. Non, nous ne faisons pas partie d’une secte ou d’une mafia. Nous sommes simplement les descendants de gens qui ont fui le monde extérieur et sa violence pour se réfugier dans cette grotte. Ici, il n’y a pas de guerre, pas de conflit. Ici, nous n’avons pas les mêmes préoccupations que les gens d’en haut. Nous nous contentons de vivre ensemble et de travailler pour faire perdurer cette enclave.

Elle balaya la pièce du regard.

— Les statues de pierre autour de toi représentent tous les gardiens qui se sont précédés depuis la fondation de notre cité pour protéger cet endroit. Grâce à eux, depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, le secret de notre présence sous terre a perduré.
Simon n’était pas vraiment rassuré. Les visages des personnages étaient si réalistes qu’il s’attendait à tout moment à les voir bouger, animés par une magie inconnue. Après tout, rien n’était plus impossible.

Liliane continua :

— L’Hôtel de la Cité est le seul passage vers l’extérieur. Autrefois un simple tunnel, devenu plus tard une petite maison, elle s’est transformée au fil des siècles en l’hôtel que tu connais. Comme tu peux t’en douter, c’est Monsieur Delasoie qui assure en ce moment la tâche de gardien. Tu comprends donc toute la responsabilité qui repose sur ses épaules. Simon ? Tu m’écoutes ?

Le réceptionniste était perdu dans ses pensées. Il avait du mal à tout encaisser. Lui qui pensait, il y a quelques semaines, avoir trouvé un travail tranquille, n’avait pas pensé un jour se retrouver au milieu de toute cette histoire.

— Oui, oui… Je comprends, marmonna-t-il. C’est juste que ça fait beaucoup à digérer d’un coup. Je pensais avoir mis les pieds dans un réseau mafieux ou quelque chose du genre, moi, mais pas là-dedans ! dit-il en montrant les statues avec de grands gestes.

Liliane sourit.

— Je suppose que tu as déjà jeté un coup d’œil à notre ville, tout à l’heure avant de revenir à l’ascenseur.

Simon acquiesça, un peu gêné.

— Viens, dit-elle en lui tendant la main. D’ici, tu la verras mieux.

Elle l’entraîna vers le promontoire avant de déclarer :

— Je te présente la Cité, notre havre de paix depuis plus de deux mille ans.

Vue d’ici, la ville était encore plus magnifique. Les bâtiments se succédaient par époque, comme pour accentuer l’évolution harmonieuse qu’avait connue la Cité au fil des siècles. Dans les rues, des gens aux habits hétéroclites vaquaient à leurs occupations. Simon aperçut un homme en smoking saluer une femme en toge romaine. C’était comme si des hommes et des femmes avaient été piochés de plusieurs époques différentes et rassemblés ici, en plein cœur de la grotte. Simon en resta bouche bée.

— De nombreux peuples qui étaient persécutés à la surface ont pu s’installer dans cet endroit grâce aux gardiens. Tous ces gens ont en commun ce désir de paix et d’harmonie, loin de la guerre et des tourments de la surface.

— C’est beau, répondit Simon, un peu bêtement.

Liliane éclata de rire ce qui fit rire le réceptionniste à son tour.

— Et Monsieur Perlois, dans tout ça ? Ses sacs, c’est pour quoi ? demanda Simon, ayant repris son calme.

— Monsieur Perlois ? C’est le fournisseur de la Cité.

— Le fournisseur ?

— Oui. À cette heure-ci, tu vois la ville s’illuminer grâce à la lumière du soleil, mais passer quelques heures, elle se retrouvera à nouveau plongée dans le noir. Ici, nous ne disposons que de trois heures de soleil par jour. Le reste du temps, la lumière ne parvient pas jusqu’à nous, la faute au relief de la surface. La pratique de l’agriculture est impossible ici, nous avons donc besoin de l’aide du fournisseur. C’est lui qui nous amène tous les matins des vivres et autres produits de première nécessité. Notamment ça.

Elle mit sa main dans sa poche et en sortit une petite boîte, qu’elle ouvrit. À l’intérieur se trouvait une grande quantité de petites pastilles blanches.

— C’est de la vitamine pour pallier au manque de soleil. Comme tu le sais, l’humain a besoin de soleil pour être en bonne santé. Ici, nous ne bénéficions que très peu de sa lumière. C’est d’ailleurs pour ça que nous avons tous les cheveux et les yeux très clairs. Tu as dû le remarquer ? dit-elle en se caressant les cheveux.

Simon fit machinalement un sourire de benêt. Il s’en rendit rapidement compte et enchaîna aussitôt :

— Mais comment vous faisiez avant ces médicaments ?

— Avant, nos ancêtres devaient régulièrement sortir, risquant à chaque fois de dévoiler notre repaire aux gens de la surface. Depuis la construction de cet hôtel, des habitants de la Cité réservent régulièrement des chambres pour faire le plein de lumière, mais comme il n’y a pas assez de chambres pour tout le monde, cette vitamine nous permet de pallier à ce manque de soleil.

— Je comprends.

Soudain, des bruits de pas se firent entendre. Quelqu’un s’avançait sur le sentier. En penchant la tête, Simon reconnut le directeur qui arrivait vers le sanctuaire. Il n’eut pas le temps de réagir que le bonhomme fit irruption dans la pièce.

Simon vint aussitôt à sa rencontre.

— Monsieur Delasoie ! Je suis vraiment désolé de vous avoir désobéi ! s’écria-t-il. Liliane m’a tout raconté.

Le directeur avait le visage fermé. Simon réfléchit un instant, le regard fixant le sol comme pour une prière. Il repensa à son misérable quartier, malfamé qui plus est, à son studio bien trop petit pour lui, à cette vie qu’il n’avait pas choisie et bien sûr à Liliane. Il murmura :

— J’aimerais rester ici et me rendre utile à cette cité.

Il leva les yeux, regarda le directeur et enchaîna d’une voix plus forte.

— J’ai toujours eu l’impression d’être un étranger dans ma vie à la surface. Alors que depuis que je travaille ici, je me sens bien. Je me sens exister. C’est pour ça que j’aimerais devenir gardien moi aussi.

Simon se tourna vers Liliane et sourit.

2 commentaires

Driller_Killer 9 janvier 2021 - 9 h 19 min

Super nouvelle ! Un dénouement inattendu ! Bien amené !

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benraconte 12 janvier 2021 - 16 h 18 min

Merci beaucoup ! Ça me fait trop plaisir !

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